Introduction : la chirurgie orthognatique, l’harmonie du visage et la dimension verticale
Avant de commencer l’étude du sourire gingival il est souhaitable de définir la chirurgie orthognatique et son rapport à l’esthétique de la face. La chirurgie orthognatique vise à corriger les troubles de développement du maxillaire et de la mandibule. Son but est donc la correction de la malocclusion dentaire lorsque le traitement orthodontique ne peut à lui seul le corriger. Son impact sur l’esthétique est important. Fonctions, esthétiques dentaire et faciale, se trouvent ainsi intriqués dans une prise en charge pluridisciplinaire dont les acteurs sont le chirurgien-dentiste, l’orthodontiste et le chirurgien maxillo-facial.
Un cas concret
Le cas de Mlle M. nous éclaire sur les intrications entre les fonctions oro-faciales et l’esthétique d’une part et sur les interconnections entre les différentes dimensions verticale, sagittale et esthétique de la face. Mlle M. consulte un orthodontiste pour une malocclusion dentaire : la jeune patiente présente une classe III dentaire, et une endognathie du maxillaire. L’examen clinique endobuccal (fig. 1) confirme la malocclusion dentaire en rapport de classe III et l’endognathie maxillaire. Le sens transversal perturbe ici la dimension verticale de la face qui s’en retrouve augmentée.La fonction respiratoire est perturbée, Mlle M. respire par la bouche, la déglutition est atypique (infantile). Une première étape de disjonction orthopédique est réalisée, secondairement suivie d’un traitement de décompensation et de nivellement (Dr P. Obach-Dejean) afin de préparer la chirurgie orthognatique. Celle-ci sera réalisée en fin de croissance. Une rééducation orthophonique sera entamée en post opératoire immédiat. Nous retrouvons sur l’examen endobuccal pré opératoire (Fig. 2) l’ensemble des mouvements dentaires qui ont été nécessaires pour décompenser, niveler et rétablir le sens transversal des arcades. Suite à la correction du sens transversal la dimension verticale est corrigée. L’examen clinique facial confirme la classe III squelettique, l’augmentation de la dimension verticale et l’asymétrie faciale d’origine maxillaire avec un décalage vers la droite de 1 mm et de la mandibule avec un décalage plus important vers la gauche (fig. 3).
L’intervention chirurgicale consiste en une ostéotomie bimaxillaire (fig. 5) avec avancée et centrage du maxillaire, recul et centrage de la mandibule. Le rétablissement du sens sagittal est la priorité du traitement. La dimension verticale n’est pas modifiée car le plan d’occlusion est adéquat. Cela nécessite néanmoins des ajustements verticaux osseux verticaux car l’avancée du maxillaire provoque inéluctablement une augmentation de la dimension verticale antérieure à cause du plan de coupe de l’ostéotomie qui est oblique de l’arrière vers l’avant et du bas vers le haut (fig. 4), sauf dans des cas très particuliers.
L’hospitalisation est de 36h, la reprise de l’alimentation mixée est possible dès le deuxième jour, et la reprise de l’activité est rendue possible entre le 15ième et le 21ième jour. L’harmonie du visage (fig. 6 et 7), l’occlusion (fig. 8) et la respiration trouvent en post opératoire un équilibre fonctionnel et esthétique.
Les différentes dimensions de la face interagissent les unes avec les autres et doivent être interprétées et corrigées en fonction du résultat esthétique que nous souhaitons obtenir.
Le sourire gingival
Le sourire gingival est lié à une exposition trop importante de la gencive lors du sourire. Il représente une doléance fréquente de nos patients. Cet excès de gencive visible au sourire peut être lié, soit à un excès de développement de la gencive, soit à un excès de développement du maxillaire, étiologie de loin la plus fréquente et qui fait appel à une prise en charge orthodontique et chirurgicale. Lorsque les dents sont courtes, que le sourire gingival est limité une prise en charge parodontale peut être indiquée.
Sourire gingival et excès de développement de gencive
L’excès de gencive peut être lié une inflammation et la gencive et le traitement sera alors celui de la parodontopathie. Il peut être de cause iatrogène : certains médicaments comme les anti-epileptiques, les oestroprogestatifs, ou la ciclosporine peuvent avoir comme effet indésirable une hyperplasie de la gencive. Enfin, certaines maladies systémiques (comme l’hypothyroïdie), certaines hémopathies, peuvent être responsables d’une hyperplasie de gencive. Le traitement en est rarement chirurgical et ne sera pas développé dans cet article.
Le sourire gingival lié à un excès de développement du maxillaire
Le maxillaire et la fonction
La croissance du maxillaire est dans le sens vertical le plus souvent adaptatif. Le tissu osseux maxillaire est en effet de nature principalement alvéolaire et sa croissance intrinsèque est faible et dépend principalement de la croissance des organes dentaires, de la position de la langue (au repos et à la déglutition), de la croissance verticale de la mandibule, de la respiration (celle-ci est-elle buccale, et dans cette hypothèse est-elle liée à des amygdales hypertrophiques, à un rétrécissement de la filière aérienne nasale ?) et de la tonicité musculaire. Il est difficile de décrire l’ensemble des causes dysfonctionnelles qui pourraient être à l’origine d’un développement excessif du maxillaire tant elles sont nombreuses et intriquées. Néanmoins, l’existence d’un sourire gingival demande une étude globale de la denture, du squelette facial, de la fonction respiratoire et masticatrice. La prise en charge est donc pluridisciplinaire, dentaire, orthodontique, maxillo-faciale, et parfois orthophonique et orl.
Sourire gingival, et hyperdivergence faciale : exemple d’une prise en charge thérapeutique
Mme M. consulte un orthodontiste car elle se plaint de son sourire qu’elle juge disgracieux (fig. 9).
L’examen clinique met en évidence l’absence de quatre prémolaires (lié à un traitement orthodontique antérieur), une classe II dentaire, un sourire gingival important, un défaut de congruence labiale au repos une classe II squelettique (fig. 10 et 11).
L’hyper divergence a pour définition une augmentation de la dimension verticale de la face par rapport à la dimension verticale postérieure. Elle se définit donc en orthodontie comme une obliquité excessive des plans occlusal et mandibulaire par rapport à la ligne Sn ou au plan de Francfort. Dans le cas de notre patiente, l’analyse téléradiographique de Delaire (fig. 12) objective l’hyperdivergence par défaut de croissance des ramus de la mandibule. L’excès de croissance du maxillaire, responsable du sourire gingival en est la conséquence.
La prise en charge thérapeutique consiste en un traitement orthodontique de décompensation et de nivellement des arcades dentaires (Dr F. Froger) afin de préparer l’intervention.
La prise en charge chirurgicale a consisté en une impaction maxillaire antérieure, une ostéotomie d’avancée mandibulaire et une génioplastie de réduction verticale et d’avancée afin de parfaire l’harmonie du visage (fig. 16). L’ensemble des déplacements squelettiques ont été décidés par confrontation entre l’examen clinique et le scanner tri dimensionnel et après concertation avec l’orthodontiste. L’intervention a pour but de rétablir un plan d’occlusion physiologique en classe I dentaire (fig. 13 et 14), une classe I squelettique et une dimension verticale antérieure de la face qui réponde à la demande esthétique de notre patiente (fig. 15, fig. 18).
Le visage est harmonieux et malgré l’impaction importante du maxillaire les filières aériennes postérieures ont été totalement respectées (fig. 17). Il est à noter la persistance d’une très discrète bascule du plan d’occlusion non préjudiciable d’un point de vue esthétique et fonctionnel.
Sourire gingival et asymétrie faciale : exemple d’une prise en charge thérapeutique pluridisciplinaire
Mme C. consulte pour une demande esthétique, elle souhaite une prise en charge de son sourire gingival qui la complexe (fig. 19).
D’un point de vue dentaire, la situation nécessite une prise en charge pluridisciplinaire car notre patiente présente une classe II dentaire asymétrique, une dent 25 incluse non conservable (fig. 20, fig. 23), une parodontite chronique généralisée et de nombreuses dents nécessitent une reprise du traitement endocanalaire et la réalisation future de couronnes. Notre patiente ne souhaite aucune extraction malgré l’asymétrie d’arcade qui résulte de la l’absence de la dent 25.
D’un point de vue squelettique, on retrouve une classe II (fig.22), une asymétrie maxillaire (fig. 21) avec rotation vers la gauche (conséquence de la non éruption de la 25), une augmentation de la dimension verticale antérieure et postérieure du maxillaire, ainsi qu’une asymétrie verticale, avec augmentation de la dimension verticale droite par rapport au côté gauche (fig. 19). La patiente présente des signes aigus d’inflammation du parodonte et il est décidé de commencer le traitement de sa parodontopathie (Dr A. Sancier). L’inflammation du parodonte est prise en charge par un contrôle de plaque et une fois la stabilisation constatée la prise en charge parodontale est réalisée par un débridement non chirurgical. Le traitement orthodontique de décompensation et de nivellement est réalisé dans un deuxième temps (Dr S. Prieur).
Celui-ci est rendu difficile par la présence de nombreuses dents traitées qui ralentissent la prise en charge et il est décidé à la demande de la patiente d’opérer avant la fin de la préparation. Cette solution est rendue possible par la présence de nombreuses dents qui nécessiteront de nouvelles couronnes. Une analyse occlusale est conduite en préopératoire sur articulateur SAM 1/2 adaptable. Un montage sur double modèle fractionné selon la technique de Lefebvre et Vincent permet de prendre en compte les déplacements dentaires et les futures dents couronnées et donc de simuler des corrections occlusales (Dr A. Hennequin).
Celle-ci permet de valider l’utilisation de meulages sélectifs selon la technique de Solnitt pour optimiser l’occlusion pré-opératoire en corrigeant l’occlusion par meulages sélectifs en pré-opératoire. L’occlusion per opératoire est calée par deux gouttières, l’une intermédiaire, pour fixer la position du maxillaire dans l’espace l’autre d’occlusion finale pour la mandibule. L’intervention chirurgicale consiste en une impaction du maxillaire différentielle (4 et 5 mm) en un centrage et recul du maxillaire (avec résection distale des apophyses ptérygoides). Les déplacements du maxillaire suivent les indications de la gouttière et sont vérifiés cliniquement en per opératoire. Une ostéotomie d’avancée mandibulaire est ensuite réalisée (de faible amplitude), prenant en compte les indications de la gouttière finale d’occlusion.
Le traitement orthodontique est repris au quinzième jour post opératoire. L’examen clinique post opératoire montre une correction du sourire gingival (fig. 24), une classe I squelettique (fig. 26) et une occlusion stable malgré l’absence de la 25 (fig. 25).
Sourire « gingival » induit par une perte dentaire et osseuse du maxillaire
Mr R. consulte un dentiste afin d’envisager une réhabilitation prothétique du maxillaire suite à un accident de la voie publique. Mr R. a perdu l’ensemble des incisives, sa canine et ses deux prémolaires à gauche (fig. 27). L’examen endobuccal montre l’absence des 34 et 44 suite à un traitement orthodontique en cours. Dans cette situation, le sourire n’est pas gingival de par l’édentement mais risque de le devenir si la restauration prothétique n’est pas simulée en amont de la prise en charge squelettique (fig. 28). La perte osseuse du prémaxillaire avoisine les deux centimètres. Elle contre-indique toute réhabilitation prothétique sans greffe osseuse. Un premier geste (prélèvement autologue crânien) est réalisé afin de visualiser dans les trois sens de l’espace la future restauration prothétique. L’examen au sourire post opératoire (fig. 29) confirme la nécessité de la réalisation d’une ostéotomie pour corriger le sens vertical par bascule du plan d’occlusion associé à un complément limité de greffe. Une greffe osseuse sans bascule du plan d’occlusion aurait pour conséquence l’apparition d’un sourire gingival. En pré opératoire, la canine 13 saine est extraite, la 14 est remplacée en 13 afin de symétriser l’arcade maxillaire (fig. 30). Seuls trois implants sont placés (Dr A. Sancier), afin de conserver un maximum de tissu osseux et retrouver les papilles. La maturation du parodonte évoluera favorablement avec le temps (fig. 31). Le sourire avec la prothèse sur implant ne découvre pas de gencive (fig. 32).
Conclusion
Le sourire gingival par excès de développement du maxillaire demande logiquement une diminution verticale de ce dernier. La prise en charge se fait en collaboration étroite avec l’orthodontiste et le chirurgien-dentiste lorsqu’un édentement est associé à la dysharmonie squelettique. La correction du sourire gingival par impaction du maxillaire est stable dans le temps. Les suites sont simples avec une hospitalisation qui n’excède pas deux jours. La fixation osseuse par des miniplaques permet d’éviter tout blocage bi-maxillaire dans les suites. La récupération de la sensibilité dans les territoires sous orbitaires est la règle après ostéotomie maxillaire.